Les années d’enseignement dans le secondaire

1929-1931 : ses deux premières années de professeur de lycée

Âgé de 25 ans, Georges Canguilhem est nommé à Charleville à dater du 1er mai alors que Cherbourg lui avait été promis, nomination qu’il apprend sans trop protester car il pense « qu’il y aurait plus d'intérêt à dire certaines choses dans l’Est patriote que du côté de chez moi » (OC, 1, p. 219). Cependant, un an plus tard, il fait part à Jean-Richard Bloch de sa grande déception qu’il manifeste avec cette ironie mordante dont il ne se départira jamais : « Beau pays. Mais quel temps crachotant ! Que fais-je ici dans ce lycée léthargique ? Vieux profs que l’âge et la première classe consolent de n’avoir que la moitié de ce qu’il faudrait être pour être digne non d’enseigner mais d’apprendre à enseigner. Ils regardent si mon ventre pousse, car cela les rassurerait. Un seul attachement sacré, les élèves, pourtant bien nuls et bien somnolents » (OC, 1, p. 239).
À la rentrée de 1930, il est nommé au lycée d’Albi. Sa première impression est sans nuances : il la livre à son ami Jean-Richard Bloch : « J’ai comme collègues des maniaques dont un a la manie de la persécution, un proviseur papelard, un économe amnésique. C’est ce qu’on appelle un personnel d’élite dans les discours officiels » (OC, 1, p. 316).
ENS-CAPHÉS, Fonds Canguilhem, cote : CAN 3252

1931-1932 : une année de congé


Après avoir « effectué un gros travail dont les résultats ont confirmé [sa] méthode » (OC, 1, p. 365), mais quelque peu déçu par ses deux premières années d’enseignement, il décide de prendre un congé d’un an pour convenances personnelles. Durant l’été, il effectue un voyage en Allemagne puis revient à Paris où il remplace Michel Alexandre, à la direction des Libres Propos où il commentera l’actualité politique et internationale. Entre autres activités, il délivre également un enseignement au Collège Sévigné et rédige un manuel de philosophie resté inédit.
Le 6 septembre 1932, il épouse à Nîmes Simone Anthériou : « Depuis juin, un mariage décidé dans le bonheur et l’impatience l’emporte sur bien d’autres préoccupations. Ma fiancée est professeur de Lettres, universitaire dans mon genre, c’est-à-dire le moins. Mariage purement civil et sans cérémonie » (OC, 1, p. 439).
Simone Anthériou (1905-2001), née à Saint-Étienne, de confession protestante, a vécu ses années de jeunesse à Nîmes où elle eut notamment pour professeur Jeanne Alexandre. La famille possédait par ailleurs une demeure très ancienne à Mazet-Saint-Voy, dans le hameau de Mazalibrand, commune de Haute-Loire voisine du Chambon-sur-Lignon, où elle passait parfois une partie des vacances d’été. Depuis la rentrée scolaire 1931, Simone Anthériou enseignait au lycée du Puy-en-Velay. Elle habitait en colocation avec une de ses collègues, ancienne élève de l’École normale supérieure (promotion littéraire de 1928) et professeur de philosophie, Simone Weil (1909-1943). Élève d’Alain à Henri IV, comme Georges Canguilhem l’avait été avant elle, Simone Weil et Georges Canguilhem se sont rencontrés alors que Georges Canguilhem poursuivait sa scolarité à l’École normale. À la demande du frère de Simone Weil, le mathématicien André Weil (lui aussi ancien élève de l’École normale), Georges Canguilhem ne manquera pas de lui rendre hommage dans l’Annuaire de l’Association amicale des anciens élèves de l’École normale supérieure en 1989 (OC, V, p. 1197-1201).
 

1932-1940 : de Douai à Toulouse, des années d'enseignement et de militantisme


À la rentrée de 1932, Georges Canguilhem est nommé à Douai, son épouse à Valenciennes où ils habiteront. Le 3 février 1933, il annonce à ses amis Bloch que son épouse attend un enfant. Bernard, leur premier fils, naît à Lille.
Après une année scolaire à Douai, il est nommé à Valenciennes où il restera deux ans : le temps gagné sur les déplacements lui permet notamment de militer dans des organisations antifascistes. En 1935-1936, il est muté à Béziers et fréquente Ferdinand Alquié (1906-1985), alors en poste à Carcassonne. Il dira plus tard : « J’ai mis très longtemps à obtenir le seul poste que j’aie véritablement souhaité de ma vie, c’est-à-dire Toulouse » (OC, V, p. 1281-1282). Vœu exaucé à la rentrée 1936 où il rejoint le lycée Pierre de Fermat.
 

ENS-CAPHÉS - Fonds Jean Brun -BJ 1.1. Lycée de Toulouse, 1936-1937
Georges Canguilhem assis au premier rang (7e en partant de la gauche),
Jean Brun debout au dernier rang (4e en partant de la gauche)
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Faisant fi des contraintes que pourraient lui imposer ses multiples engagements, il décide d’entreprendre des études de médecine. Pourquoi ? Georges Canguilhem répond lors d’un entretien : pour « ajouter à ce que j’avais pu acquérir jusqu’alors de connaissances d’ordre livresque en philosophie, quelques connaissances d’expérience telle qu’on peut les obtenir de l’enseignement de la médecine et, peut-être un jour de sa pratique » (OC, V, p. 1282).
Parallèlement, Georges Canguilhem se lance avec son ami Camille Planet à rédiger un Traité de logique et de morale. Camille Planet (1892-1963), professeur de philosophie au lycée Thiers de Marseille, est comme lui, natif de Castelnaudary où ses parents tenaient un commerce de chaussures. Il est agrégé de philosophie, peintre de talent et musicien. L’ouvrage, édité en 1939 à compte d’auteur, considéré par ses deux auteurs comme un anti manuel (OC, 1, p. 607), devait être suivi de deux autres ouvrages : l’un dédié à la psychologie, l’autre à l’esthétique. Le Traité de psychologie est resté inachevé, cependant on peut en prendre connaissance dans les archives conservées au CAPHÉS. En revanche, on ne trouve pas trace du traité d’esthétique. Juste avant sa mort, Camille Planet a confié à son ami Georges ses manuscrits personnels avec la consigne d’en faire ce que bon lui semblerait.

 

ENS-CAPHÉS, Fonds Canguilhem, cote : CAN 1359
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