Relations avec le marxisme
Les articles et notes de Gérard Simon conservés au CAPHÉS montrent que le marxisme, loin d’être dissocié de son œuvre (si l’on se permet de s’exprimer dans ses propres termes), a été pour lui un terrain apriorique pour penser aussi bien l’histoire que les sciences. Avec une formation marxiste initiale, il fut durablement marqué par la pensée de son professeur Louis Althusser, ce qui lui permit de construire une approche où structuralisme et matérialisme dialectique restaient compatibles. D’un côté, son épistémologie singulière résulte de cette cohabitation, et de l’autre, il a considéré que le matérialisme historique constituait le champ épistémique qui structurait la pensée historique contemporaine.
En somme, Gérard Simon encadre son historicisme et sa reconnaissance de l’altérité culturelle dans un champ intellectuel qui découle historiquement du marxisme. Ce qui caractérise sa posture est la symétrie entre une profonde historicité des sciences et leur caractère d’objet néanmoins concret et définissable, soit un cumul de connaissances opéré par la contingence historique et l’imbrication des aires d’activité humaine (philosophie, science, religion, art), mais renvoyant à une idée de progrès à portée universelle et sous-tendant des définitions strictes sur ce qui est scientifique, préscientifique ou non scientifique.

C’est dans ses textes sur le marxisme, intégralement disponibles au CAPHÉS, qu'il justifie cette bilatéralité – Gérard Simon ne mentionnera le marxisme dans son oeuvre d’historien que dans de très rares occasions (dans sa thèse, Marx est mentionné une seule fois, et à l’occasion d’une analogie conceptuelle seulement !). La posture épistémologique de Gérard Simon est redevable de ses années de formation à l’ENS, et si Marx semble bien être absent de ses travaux, il considérera le matérialisme dialectique comme une théorie fondamentale (il sous-tend ses propres notions sur le développement des connaissances) et le matérialisme historique comme le Zeitgeist des sciences humaines contemporaines. Les structures de pensée de Gérard Simon relèvent non d’un dialogue théorique, mais d’une intrication nécessaire (et magistralement cohérente pour ce qui est de son œuvre) entre, d’une part, méthodologie et théorie structuraliste, et d’autre part, le champ épistémique du matérialisme historique où il les situe.
Finalement, si les travaux de Gérard Simon se tiennent à l’écart d’une herméneutique et d’une grammaire marxiste, ils se révèlent toutefois compatibles avec l’interprétation althussérienne du matérialisme dialectique comme théorie de la scientificité et de la différence entre science et idéologie, puisqu’il posera des démarcations claires entre ce qui relève de l’abstraction scientifique (patrimoine à vocation universelle) et ce qui correspond à des métathéories philosophiques (permettant le développement scientifique mais historiquement situées et destinées à devenir obsolètes).
Ceci ne l’empêche pas de porter un regard critique sur le marxisme, du moins sur certains courants d’interprétation. S’il reste comme un horizon intellectuel indépassé, son objet l’a conduit à utiliser une approche méthodologique non marxiste, et ses résultats signalent la caducité de certaines de ses thèses classiques. Il refuse en premier lieu l’approche positiviste totalisante qui prétend faire du matérialisme dialectique une théorie rétrospectivement valide. De plus, sa notion du « vrai » consiste en sa situation à l’intérieur d’un système de pensée, c’est-à-dire en ce qui est plausible et pensable dans un contexte culturel donné. Pour Simon la vérité est une construction à partir d’un état donné de savoir et non une révélation ; le matérialisme dialectique se montre incapable d’épuiser la richesse culturelle des savoirs du passé. En plus, et cela est essentiel, l’idée d’une opposition philosophique absolue entre idéalisme et matérialisme correspond à une transposition anachronique d’une dualité qui n’est concevable qu’à partir de la modernité cartésienne (dualisme qui ironiquement est issu d’une métaphysique cartésienne). Les travaux de Gérard Simon sur la théorie du rayon visuel de l’Antiquité sont un exemple parfait pour montrer que cette opposition est une construction qui ne va pas au-delà de la Renaissance, et qu’elle se révèle donc insuffisante pour rendre compte des systèmes de pensée antérieure à son avènement historique.